Une journée à Lorient avec… le « CNL »


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Après avoir bravé l’Atlantique Nord à la fin de l’automne, les solitaires engagés sur le Retour à la Base seront accueillis chaleureusement par les Lorientais, dont l’hospitalité survoltée n’est plus à prouver. Mais dans cette ville pour moitié constituée d’eau salée, la voile est une fête de tous les jours.

Du centre nautique à la capitainerie en passant par la Cité de la Voile ou Lorient Grand Large, ils sont nombreux à être sur le pont quotidiennement pour transmettre à tous les habitants et visiteurs de « la ville aux six ports » leur passion pour l’océan... Mais avez-vous déjà poussé leur porte ? 

Au Centre Nautique de Lorient,
l’école de la compétition avec « le cœur et l’âme »


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8 h 45 – Officiellement, le Centre nautique de Lorient – « CNL », pour le commun des marins - n’ouvre au public que dans 15 minutes. Pourtant, derrière la porte vitrée encombrée d’affiches colorées et de petites annonces en tout genre, c’est déjà l’heure de pointe.

C’est que le repère s’est étoffé depuis sa création en 1950. A l’image de la société, les activités nautiques se sont adaptées à l’ère du temps. A la traditionnelle voile habitable s’est ajouté l’aviron, la section handivalide et la voile légère, où l’on forme désormais autant à l’optimist qu’au windsurf et au windfoil. Au total, douze salariés et une centaine de bénévoles y animent les différentes activités du club, élu meilleur établissement sportif de la fédération française de voile en 2022 – excusez du peu ! 

9 h 15 – Dans le bureau principal, six entraîneurs - et quatre tasses de café – s’affairent devant les écrans. Ici, c’est avant tout une école de la compétition. « L’initiation se fait ailleurs sur la côte, on va retrouver chez nous les jeunes repérés pour leur potentiel de haut niveau », résume Alain, le président du club.

Si Aubin a un peu de temps pour préparer son planning ce matin-là, c’est justement parce qu’une partie de ses ouailles est en Italie pour les Championnats d’Europe de windfoil. Mais ce n’est pas parce qu’on cultive de la graine d’athlètes qu’il faut « tomber dans la championnite » ! « Ce qu’on veut, c’est sortir de cette logique de l’échec qui casse les gamins et les dégoûte à vie de la compétition, rappelle celui qui est lui-même passé par là dans sa jeunesse. On essaie de leur montrer les progressions et les petites victoires, ça leur servira dans leur vie d’adulte pour tous leurs projets. »

Gestion du stress, des émotions, des frustrations : le coach se doit d’être « un peu psychologue, à ses heures pas si perdues ». « On les rassure tout en restant dans le vrai, abonde Arnaud, responsable des coachs et chargé des Optimist. On leur raconte que nous aussi, à leur place, il y a quelques années, on avait mal au ventre avant les épreuves. Que c’est normal, qu’on peut dépasser sa peur. La compétition, ça peut apporter beaucoup à un enfant dans le processus de confiance en lui. » Et Aubin de renchérir : « Pas question non plus que les entraîneurs se sentent propriétaires des coureurs. Avant de penser résultats, on pense ici éducation ».

Graines de champion et handi-valides : la voile pour tout le monde 


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9 h 40 – En voile, il faut toujours un MacGyver. Guillaume, l’un des quinze bénévoles du Conseil d’administration, en a adopté le costume, à défaut de la coiffure. Mécanicien dans le milieu nautique depuis plus de vingt ans, il est le « serial bricoleur » du CNL, capable d’entretenir et réparer petits et gros bobos infligés à la flotte du club. Car ici, la réalité associative oblige à « faire beaucoup avec peu ».

Avec un budget serré et l’inflation qui a fait grimper le prix des voiles, cordages et moteurs d’au moins 20 % - jusqu’à +70 % pour un Optimist sans sa remorque -, le respect du matériel est plus que jamais une valeur-clé transmise aux licenciés, dès le plus jeune âge.

Malheureusement, la moindre petite inattention peut être lourde de conséquences. La veille, un semi-rigide du CNL est venu embrasser d’un peu trop près les cailloux. « Il faut vérifier l’embase de l’hélice, tout démonter », explique le passionné. Si vraiment il faut remplacer la pièce, alors, « on fait la traque aux bonnes affaires sur les sites de vente d’occasion. »

10 h 15 – Franck, enturbanné comme un bédouin égaré en Bretagne, tient son briefing. Il est le coach de la section « handi-valide », une fierté du club lancée en 2015, sur l’impulsion de quelques sportifs en mal de mer.

Parmi eux, Alex, dont le niveau de régatier est au moins aussi grand que le sourire qui lui barre le visage ce matin-là, sous ses solaires polarisées. Si un accident de moto n’avait pas brisé son corps à 17 ans, aurait-il jamais découvert les joies de la navigation ? En tous cas c’est bien grâce au CNL qu’il a trouvé sa passion pour l’Hansa, un petit dériveur maniable qui permet de voir concourir, sur une même ligne de départ, personnes en situation de handicap et valides. Ciré vermillon enfilé, il part rejoindre ses comparses d’entraînement pour la session du jour, dont l'ambition est de « faire mieux que la veille, ce qui est déjà un bel objectif ».

Avant d’échouer au CNL, « Francky » n’avait jamais travaillé avec des personnes handicapées. « C’est un peu comme quand tu voyages à l’étranger. Au début tu ne sais pas comment faire, tu ne comprends pas tout, alors tu te tais, tu regardes et t’écoutes. Et là, tu commences à comprendre », explique-t-il, tout en concédant tout de même « quelques boulettes » à ses débuts. « Tous les jours, chaque regard qu’ils croisent les ramènent à leur handicap. Alors ici, on essaie de l’oublier », explique l’entraîneur, qui laisse ses coureurs « se gérer ». « S’ils ont besoin de renfort, on s’arrange pour les mettre en binôme, avec un bénévole du club ou un ancien. Ça permet de créer du lien intelligemment », résume l’entraîneur. Avant de se raviser malicieusement : « enfin, pas trop d’intelligence quand même, on reste des sportifs ! »

11 h – A l’étage, la salle de réunion a été réservée pour un point d’étape en petit comité. L’enjeu du jour ? L’organisation de l’Atlantique Télégramme Leclerc (ATL), la plus grosse régate de l’année pour le CNL, qui a lieu chaque deuxième quinzaine de septembre depuis plus de vingt ans.

Car l’autre grande mission du club est bien là : organiser des événements qui permettent autant  de convivialité à terre que de bagarres sur l’eau ! Au total, ce sont une trentaine de compétitions organisées chaque année, soit plus de 50 journées d’événements…

Jean-Marie, « bénévole aux 35 heures », a la lourde charge de l’ATL : un village de 2 500 m2, 10 bénévoles, près de 800 compétiteurs, des partenaires publics et privés et plus de 11 000 personnes attendus… Avec Guillaume, responsable communication, ils vérifient les affiches qui doivent partir en impression. « On veut faire venir tout le monde. Montrer qu’à Lorient, on sait y faire en bateau. Depuis la coque de noix de Mr Tout-le-Monde jusqu’à l’Ultim dernier cri. »

« La voile ne doit pas devenir un sport élitiste, surtout à Lorient »


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11 h 45 – Une tête brune passe dans l’embrasure du bureau d’accueil, tenu par Aurore. « Il y a une dame qui va passer récupérer une voile vers midi et demi. Peut-être que tu vas avoir des sous », prévient l’alpagueur avant de disparaître. « Voilà, en gros, ici c’est le lieu de toutes les demandes », résume la secrétaire de l’association, pas branchée voile pour un sou malgré ses 15 ans de boutique. Le fléau du mal de mer frappe décidément partout. Le téléphone sonne pour une inscription à la formation permis côtier qu’organise le club…trois jours plus tard. « Ici, tout le monde se côtoie, peu importe leur origine et leur niveau social. La voile ne doit pas devenir un sport élitiste, surtout à Lorient. »

12 h 30 – C’est enfin l’heure du déjeuner, et le choix du menu est vite fait. Direction « le cœur et l’âme » du CNL, dixit l’un de ses plus fervents adeptes – qui préfère y taire le montant de son ardoise. Le bar associatif du Club, intégré dans les locaux, est l’un des plus beaux spots secrets de Lorient, pourtant ouvert aux quatre vents (même en hiver) et à tous les aventuriers des bouts de ponton.

Avec son enseigne bleu outremer et sa terrasse à l’ombre des bouleaux, « Le Dernier bar avant Groix » est déjà un voyage en soi. Derrière le comptoir de bois aussi arrondi que le bordé d’un brigantin, Erwan veille au grain. « C’est un lieu qu’on veut simple et chaleureux. On est à Lorient, ce n’est pas ambiance yacht club avec tenue de gala ! Et surtout, ce n’est pas réservé aux voileux ! ». Lui-même d’ailleurs n’a guère le pied marin – « le cognac, le muscadet ou l’armagnac, je préfère les servir que les naviguer », sourit-il dans sa barbe, qui a passé depuis bien longtemps le stade des trois jours.

A la carte, de quoi déjeuner, salade ou sandwich - « on peut faire de tout, mais il y a quelques jours d’attente sur le foie gras et le homard » - et surtout ce qu’il faut de breuvages pour étancher les soifs après les interminables débriefings du dernier entraînement, ou de la prochaine régate. « C’est une chance pour le Club d’avoir une licence IV, ce serait impossible d’avoir l’autorisation aujourd’hui », reconnaît Erwan. Il faut bien des avantages à être une institution bretonne d’un âge plus qu’honorable.

12 h 45 – Voilà justement les petites voiles multicolores des Miniji, Hansa et Wetta qui reviennent au ponton. Les marins du matin s’extraient de leurs coques – grâce notamment à une précieuse potence pour ceux qui ne peuvent compter sur leurs jambes. Aussitôt débarqués, les joues encore rougies par l’effort, ils fêtent en terrasse le départ en retraite d’un membre du groupe. « Enfin, on va pouvoir faire plus de bateau ! », se réjouit le célébré du jour avant de trinquer. 

14 h – Changement de décor, c’est à la base de Kerguelen, sur la commune voisine de Larmor-Plage, qu’Arnaud, le responsable des coachs, file à bonne allure. Si l’autonomie est l’un des principes fondateurs du club, « pour les minimes de 12 à 14 ans, ça reste une liberté surveillée », reconnaît l’entraîneur. Les groupes Whatsapp avec les familles ont été animés ces derniers jours pour gérer la logistique : rendez-vous a été donné à ceux qui partiront dimanche aux championnats de France à Maubuisson pour mettre leurs Tykas sur les remorques.

A bout de bras, voilà huit de ces adolescents qui soulèvent, cahin-caha, le précieux catamaran sur la remorque double. Les visages sont concentrés, les pieds dérapent sur la terre. « Vous avez pensé à mettre les cales ? », s’inquiète soudain Arnaud. « Faut que je fasse de la muscu », constate, amer, un des jeunes de la bande. « Encore une fois, on fait avec des bouts de ficelle, des remorques prêtées, soupire Arnaud. On parle beaucoup de la Sailing Valley et de la course au large à Lorient, mais on pourrait faire encore plus pour aider les jeunes du coin, qu’on forme pour venir renforcer ces équipes demain ».

15 h – Il y a peu de vent sur le plan d’eau, mais ça n’a pas empêché Clémence de venir tenter sa chance. Privée de championnat d’Europe pour cause de bac de français, la lycéenne est venue se dégourdir l’IQ foil. Comme tous les U-19, elle a accès librement au box de matériel, pour pouvoir s’entraîner à sa guise. « Je prépare les France à Miramas en août, ce sera ma dernière année alors j’ai envie de bien faire », dit la jeune fille dont les mèches blondes encadrent le visage. « Même si le résultat ne compte pas tant que ça. Ce qui est important, c’est tout ce que ça m’a apporté. Toutes les rencontres, les souvenirs, dit-elle en gréant sa voile. J’aurais jamais imaginé ça quand je me suis inscrite pour la première fois au CNL. » Peut-on déjà être nostalgique, quand on n'a que 17 ans ?

17 h – Dans la petite cour derrière le bâtiment principal, un cube préfabriqué attire le regard. Corinne y officie depuis 1987 comme responsable administrative, et rêve du jour où un agrandissement pourra lui permettre d’être mieux isolée des bruits du terre-plein avoisinant – sablage de coque au menu cet après-midi-là.

Ici, dans le royaume des classeurs bien ordonnés, c’est le défilé permanent. La précieuse gardienne du temple y gère autant les contrats de travail que les demandes de subvention, les partenariats privés ou les réservations d’hôtels et traiteurs pour les arbitres qui viendront sur les prochaines régates organisées par le club. « Il y a toujours quelque chose à faire, c’est un club tellement dynamique. Si seulement on pouvait avoir les moyens de nos ambitions, ce serait bien », soupire-t-elle. Depuis quelques années, le club a même développé des activités destinées aux entreprises, pour des sessions de team-building sur l’eau.


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18 h – La section aviron se prépare pour son entraînement du soir, à la débauche. Hugo, arrivé voilà quelques années de la région parisienne, a trouvé au CNL « un club familial sans prétention mais où on fait les choses sérieusement ». Et au large de Groix, « un terrain de jeu toujours différent, qui rend le sport passionnant ». Lui se régale avec ce petit noyau dynamique qui se gère en autonomie, et dont l’ambition est de faire découvrir la discipline au plus grand nombre. « Bon, c’est vrai qu’un 6 000 mètres, ça veut dire 25 minutes d’effort dos à la cible, et le temps peut paraître très long. Mais c’est un sport génial, qui fait du bien au corps et à la tête ! »

19 h – Le club se vide progressivement. Seuls quelques bénévoles stakhanovistes continuent à s’affairer, avant de trouver finalement un bon prétexte pour passer honorer le comptoir. Erwan a laissé sa place à Baptiste derrière le bar. L’été, l’ouverture se prolonge jusqu’à 22 heures, histoire de profiter pleinement du coucher de soleil – « pile dans l’axe de la terrasse ».

Depuis le Covid-19 et la restriction kilométrique du confinement, les Lorientais sont plus nombreux qu’avant à connaître l’adresse, et venir profiter du havre de paix, les pieds dans l’eau. Ils contemplent les bateaux qui partent passer leur nuit en mer, en pariant sur leur destination… Savent-ils que beaucoup de ces plaisanciers ont été formés à l’endroit-même où ils boivent leur précieux breuvage ?

 

Photo © Centre nautique de Lorient 
Illustrations © Margot Lecointre / Aperçu

 

Une journée avec... la Cité de la Voile Eric Tabrly